jeu à quatre mains

Deux ans sans écrire sur le blog… Deux ans d’hibernation. Pas de regret c’est déjà arrivé, ça arrivera encore. La création est tout sauf un long fleuve tranquille. Il faut s’appeler Monet Picasso ou Matisse pour tracer son sillon sans relâche et encore je ne sais pas, peut être qu’ils ont eu des doutes des peurs, des zones grises, Claude Monet n’était jamais satisfait c’est un fait connu. La peur viscérale de perdre le fil, cela doit arriver aux plus grands.

Alors à une brindille pensez donc !

Deux ans à réfléchir, rêver, prendre des notes, râler déchirer, fuir le vide. Mais le vide c’est aussi la vie, il faut savoir laisser les choses maturer doucement. J’ai du mal. De plus, mon existence a pris un cours nouveau. J’ai regardé le crâne de verre sur mon bureau: Vanité … Je ne supporte plus de vivre en tendant vers un but improbable voir impossible. C’est tout simplement passer à côté de sa vie, la vraie celle qui est tangible. Je n’ai plus le temps d’en perdre.

Alors j’ai fait un grand pas de côté : la pratique artistique devenait un sujet non plus majeur mais contingent. J’ai ouvert les yeux et j’ai vu tout ce qui était enfoui en moi.

Cela a tout bouleversé, mon équilibre interne certes fragile mais immuable, mon phare dans la nuit, ma vie a pris une autre saveur moins égocentrée plus ouverte plus libre et vaste de potentialités. J’ai toujours aimé plus que de raison le monde animal et le monde végétal ; il y a bien longtemps que je fais des câlins aux arbres, que je pleure si une plante que j’apprécie meurt. Cet été mon vieux pied de lavande certainement planté par la grand mère qui habitait là avant moi, un gros pied tout en hauteur qui n’a pas été taillé convenablement et qui s’est hissé vers le ciel m’a quittée. Certainement épuisé de faire monter sa sève du tronc aux branches, et puis cette sécheresse assassine. Il est mort, j’ai caressé ses vieilles branches tortueuses toutes sèches avant cela il m’a offert une dernière et maigre floraison toujours aussi odorante. J’ai gardé son bois et ses fleurs d’adieu. Quand je passe devant l’endroit ou il était planté je suis très émue.

Voilà. Je ne parlerai pas des chats des chiens des oiseaux des lézards… Ce n’est pas le sujet d’un blog d’art.Tout ça pour dire que la vie prend des tournants insoupçonnés rien n’est jamais acquis ou définitif: Une seule constante le changement.

Malgré tout l’an dernier en décembre j’ai exposé de l’artisanat (art modeste) avec une amie de très longue date que j’ai retrouvée (30 ans de séparation… La vie ) ma chair Catherine. Aux « Lunes Nomades » une jolie galerie près d’Ambarès et, surprise j’ai bien vendu. Cela m’a réconfortée, j’ai compris que l’art avec un grand A n ’était pas de saison. Et voilà ma vieille frustration qui s’est réveillée: j’aurais préféré faire les arts décoratifs plutôt qu’arts plastiques. J’imaginais depuis ma petite enfance devenir créatrice de bijoux ou de chaussures, styliste ou encore décoratrice d’intérieur. Je passais mon temps à dessiner des intérieurs, des modèles de robes c’était l’exaltation. Je n’envisageais pas devenir peintre. Je n’ai jamais pensé en avoir l’envergure. Je ne nierai toutefois pas mon gout exclusif pour l’art au sens large du terme, l’histoire de l’art surtout, la beauté et la laideur sublimées, la danse, la musique. Tout cela m’inspire encore de manière totale, c’est toute ma vie. Ce sera toujours le cas.

Catherine suit également cette approche de plasticienne artisane(pour le moment hein, rien de définitif), elle utilise sa formation pour créer des objets poétiques lisses comme des galets, l’art subtil de la céramique, du biscuit. Comme moi avec ma broderie mes tissages, mes teintures végétales qui sont autant d’expériences magiques et surprenantes.L’exposition VDf m’a durablement touchée, l’art textile me sied bien, mieux que la pratique de la peinture qui me fait souffrir, ne me satisfait jamais.

Venons en aux faits, elle est pleine d’énergie Catherine et elle a souhaité travailler sur un projet avec moi. J’ai dit oui sans hésiter, se faire embarquer pour Cythères c’est trop tentant. J’ai toujours aimé les collaborations, les expositions à deux trois et plus si affinités. Souvenir ému de la période folle des Loukoums Rebelles.

Alors nous voilà à Uzeste cet été en période de festival, à exposer dans un lieu minuscule et atypique : une boulangerie galerie coopérative un peu anarchiste! (c’est la couleur de ce village surprenant). Bonjour Monsieur Bernard Lubat.

Un truc improbable comme un essai pour une autre fois, un autre lieu… Mais ça m’a remise en marche il a fallu que je travaille sérieusement sur la série de bijoux communs, en l’occurrence des broches faites de céramique blanche et de tissus, brodées aux couleurs végétales toutes douces: Elle et moi réunies dans le bonheur du « faire » à quatre mains.

Créer sans se mettre la rate au court bouillon, c’est quelque chose de merveilleux.

L’odeur du tilleul

Un papillon est venu mourir devant ma porte hier, cela m’a rendue un peu triste j’ai vu ses ailes flétrir et des insectes se nourrir dans son abdomen… J’ai pris mon balai et je l’ai mis dans le compost. C’est l’été, Saskia est partie avec Peppa et son cousin Herran chez leur grand mère dans les landes. Je me retrouve donc seule avec les chattes, seule avec le silence qui n’est pas déplaisant ni lourd. Un silence que j’habite avec joie.

Je suis en lune de miel avec moi-même. Je me découvre et m’apprécie je n’ai besoin que d’une chose, mon travail, c’est exaltant.

Au réveil un peu fourbue parce que je dois dormir avec deux chatons et leur mère, je ne me souviens pas de mes rêves. Juste de quelques images comme une réminiscence vague, comme le parfum des tilleuls en fleurs. Comme s’il ne restait que cette fragrance délicieuse et entêtante mais rien de l’arbre de sa forme de sa présence: tronc et feuilles. Comme si la consistance du rêve m’échappait.

C’est l’été… Ceux qui ont lu mon blog depuis longtemps savent combien cette saison est difficile pour moi. C’est la période de l’éclat maximum de la lumière et par conséquent de la présence menaçante et compacte de l’ombre qui dévore les esprits sensibles tels que le mien. Alors j’essaie de contenir mes angoisses et j’étouffe mes sanglots avec soin. Ce n’est pas si difficile finalement. D’autant que cette année l’été n’est pas vain, je ne suis pas en vacances. Mon temps est plein. Je prépare l’exposition qui sera effective le premier Septembre.Le vernissage lui se fera dans la première quinzaine la date n’est pas décidée.

L’océan me manque je ne peux pas dire le contraire mais je dois me contenter de ce que j’ai entre les mains.

J’arrive au stade ou le travail est difficile pour moi. Parce qu’en fait ce que j’aime le plus dans la vie c’est chercher expérimenter et imaginer. Sans avoir d’objectif trop contraignant ni concret. Je pense que je l’ai déjà dit mais vraiment j’ai un tempérament de chercheur celui qui travaille seul dans son « atelier laboratoire » loin du monde et de ses rumeurs, loin du regard des autres de ce que je peux représenter aux yeux du monde. Jouer mon rôle d’artiste ne m’apporte aucune jouissance. C’est mon travail qui doit me représenter pas mon enveloppe charnelle. Hélas les lois sociales ne sont pas faites ainsi. Et c’est à moi de me plier de jouer le jeu. Et puis je ne vais pas me mentir: j’arrive à un stade ou j’ai besoin d’un minimum de reconnaissance, au moins de la part de mes pairs.

Je suis au pied du mur et il faudra bien que j’honore ma part du contrat avec les Simones, avec Katia surtout qui m’a appelée il y a quelques jours et qui va me venir en aide pour finaliser mon projet d’installation. Avec Françoise qui m’a également appelée de Bretagne pour poser les dates accrochages, vernissage décrochage.

On pose le cadre c’est bien.

C’est si peu en fait cette exposition…. C’est juste quelque chose qui me tient à cœur mais qui n’a d’importance que pour moi. Je réfléchis constamment à la place de l’artiste dans le monde. Nous sommes sur la crête des vagues houleuses à en observer les nuances retranscrire les transparences, nous sommes des observateurs. Mais finalement nous ne changeons rien …

J’aurais aimé faire quelque chose d’utile, le monde va si mal et j’ai peur pas pour moi j’ai bien vécu mais pour ma fille est ses acolytes … Je n’arrive pas à « oublier » je n’arrive pas à me dire:  » tu exposes enfin ça fait 18 ans que cela n’est pas arrivé, c’est ce que tu attendais non, c’est génial ?!! »…. Oui oui c’est ce que j’attendais, et c’est bien non c’est plus que bien , c’est le but ultime de mon travail journalier solitaire. Mais je sais aussi que c’est vain. Il faut garder les pieds sur terre, le souci de la réalité.

Juste un grain dans l’univers Carolina , n’oublie jamais.

VDf … J’ai cherché un autre nom et rien ne vient alors j’abandonne et je garde VDf, ce sont des initiales avec des majuscules et une minuscule, c’est moche neutre et signifiant. Cela me convient. Et puis il y a le nom de l’artiste posée sur l’affiche lequel choisir : Carolina Diomandé, Carolina Diomandé la peintresse Ka ou Peintresse Ka tout court?

Si je choisis Peintresse Ka je désobéis à l’injonction paternelle du Grand Rêve ….

Et merde, je n’arrive pas me décider. J’ai découvert tardivement que je n’avais pas autant de caractère que je croyais car je m’étais érigé une armure flamboyante pour me protéger. Je suis une personne qui a beaucoup de mal à se décider, à s’affirmer à imposer ses vues. Dire non est une torture mais j’ai décidé que dans la prochaine décennie si Dieu me prête vie ce sera l’objectif premier. Il est important de se respecter soi même afin de respecter les autres c’est ce que je désire transmettre à ma fille.

Mais je m’éloigne! Ce que j’ai fait pour l’exposition : L’inventaire global de tout ce que je veux montrer. Ensuite j’ai créé une quarantaine de petits formats en acrylique et linogravure, c’est terminé verni et marouflé sur du carton solide d’encadrement. Ces tableautins seront exposée en bas (côté boutique) et mis à la vente mais ce ne sont pas des objets qui n’ont aucun lien avec VDf, ils s’intègrent totalement dans l’œuvre montrée en haut par les teintes et dans le thème du féminin. Je ne sais pas qui voudra acheter une linogravure représentant un clitoris, mais bon je n’ai pas envie de m’embarrasser d’une pudeur ridicule. Même ma mère connait cette forme ludique alors ça devrait passer … Il me reste à créer un catalogue d’exposition pour les tentures du haut (pas la grande elle n’est pas à vendre).

J’ai trouvé une idée pour accrocher les tentures j’ai toujours aimé les cintres en fer ces formes simplistes et efficaces renvoient naturellement au monde domestique quand le linge est propre qu’on l’a étendu pour qu’il sèche et qu’on l’a repassé (moi je passe cette étape chronophage), on termine par le pliage et le rangement dans une armoire en pile ou bien sur cintre.

Les tentures seront donc dans la mesure du possible montrées avec ce dispositif simpliste et humble soit contre les parois ou bien légèrement flottantes à quelques distances du mur pour obtenir un effet aérien.

Pour la tenture je donne ma langue au chat et à Katia ,on va essayer de trouver un dispositif ensembles elle m’a promis qu’on se donnerait les moyens de mettre en oeuvre une idée spectaculaire qui surprenne le spectateur je suis d’accord je lui fais confiance. Elle est douée et son imagination est sans limite.

Il me reste à envisager l’accrochage des 63 poupées j’ai quelques idées que je compte mettre en œuvre cette semaine puisque je suis toute seule. Je pense à des formes ovales en fil de fer solide sur lesquelles seraient pendues les poupées par du gros fil de pêche, tiens merde faut que je trouve du fil de pêche….

Il faudra trouver un espace pour les 5 tableaux format raisin qui sont prêts et brillant de vernis et les calebasses que j’ai peintes en gris coloré (j’ai trouvé un mélange qui me plait énormément: titane buff clair, ocre rouge et bleu indigo) .J’ai l’impression que je n’en ai pas fini avec cette demi teinte subtile et modeste qui met en valeur tout ce qui l’approche. Le gris est présent pour faire le lien avec la « non couleur » des lingettes qui furent ma première source d’inspiration et de désir. Michel Pastoureau dit que le gris est la couleur de l’ombre.

Les femmes ne sont elles pas souvent dans l’ombre n’ont elles pas été invisibilisées jusqu’ici ? Alors oui le gris me sied comme le symbole de nos conditions. Par mon regard j’extirpe le côté neutre et ennuyeux de cette teinte en la rendant chaleureuse riche et multiple.

Le pire pour la fin?! Il me reste à finaliser le texte de présentation et je dois également faire des photos dignes de ce nom j’espère que mon appareil photo fonctionne encore au dernières nouvelles il se déchargeait très vite. je me donne jusqu’à la fin de cette semaine.

J’espère que dans mes lecteurs certain(e)s viendront voir l’exposition « in situ » … Je vous invite chaleureusement.

I’m a late bloomer…

L’effort paie c’est ce qu’on dit aux enfants mais les enfants préfèrent jouer et ils ne comprennent pas. J’ai longtemps été une enfant je dirais même que j’ai gardé mon âme d’enfant et le sens de l’effort, du travail je l’ai acquis tardivement. Tout semblait facile.

Passé: J’ai brulé ma vie pour vivre des sensations éphémères et dangereuses j’en avais besoin. Un jour je me suis fracassée en plein vol me retrouvant à terre alors là oui d’un coup j’ai compris. Aujourd’hui tout ça est loin et j’ai vécu plus longtemps après le fracas qu’avant ce qui est en soi une vraie performance. Je dirai que mon art c’est avant tout de rester en vie cela prend beaucoup de temps et ce n’est pas spectaculaire.

Présent: nous sommes en Juin 2021, et le temps est très chaud, au fond de l’horizon je vois de gros nuages en forme de champignons nucléaires, volutes de chantilly bleutées tirant sur le gris. J’aime tellement regarder le ciel il vous remet immédiatement à votre place de grain dans l’univers.Radical. Vous avez essayé de peindre des nuages?

Rappel: il y a quelques mois pour le jour de mon anniversaire Katia m’a appelée et m’a annoncé que j’étais choisie pour faire une exposition chez les Simones… Impossible d’imaginer un plus beau cadeau que celui là, Katia, son sourire malicieux et sa voix chaleureuse. Nous avons la même vision du monde un peu douloureuse et remplie d’espoir. C’est elle qui est venue me chercher, me pousser dans mes retranchements, qui m’a persuadée que je pouvais le faire que c’était le moment… Allez fonce!

J’ai commencé à regarder mon projet VDf de manière globale et j’ai listé ce que je devais finir sur quoi je devais réfléchir. Depuis j’y travaille tous les soirs je ne vois pas trop le paysage, je fonce tête baissée afin d’être au maximum de mes capacités pour Septembre. Car cette exposition commencera début septembre.

Mais quel bonheur.

Pas d’exposition depuis Décembre 2003 … J ‘ai créé bien sûr, je ne suis pas restée les bras croisés bien au contraire mais, je n’ai plus eu l’occasion de montrer mon travail dans de bonnes conditions. J’ai fait des décors pour des spectacles de danse, j’ai créé un mandala pour une performance de paix et de concorde à Saint Macaire justement, avec une professeur de danse indienne Karine une femme adorable. J’ai fait ce que j’ai pu dans les limites de mes possibilités. Jamais assez à mon gout avec toujours cette sensation de frustration permanente. Comme si le temps jouait contre moi. Le temps de la féminité avec ses journées à rallonges, toutes les tâches à accomplir pour les autres, le sacrifice permanent de soi, de son être profond. Sans jamais la moindre gratification pour ce sacrifice consenti.Comme si tout ce que nous faisions pour les autres était un dû.

Genèse du projet VDf : c’est arrivé comme un coup de tonnerre, j’avais pris la sainte habitude de travailler tous les soirs chaque jour de la semaine du mois de l’année. ceci depuis Janvier 2013 l’année de mes cinquante ans. J’étais épuisée mais je ne lâchais rien. C’est alors que Saskia est rentrée du collège et me l’a annoncé: Nathalie sa professeur de danse avait été victime d’un féminicide brutal. Nathalie était morte parce qu’elle voulait vivre, partir. Ainsi non seulement les femmes se doivent de prendre tout en charge de se sacrifier, mais elles n’ont pas le droit de décider de se libérer du joug. Elles ne s’appartiennent pas en fait, elles sont objets et non sujets. Un homme peut décider qu’elles ne vivront pas sans lui, hors de lui.

Est ce qu’une femme peut commettre ça?? Oui il y en a forcément mais je crois que c’est au alentour de 3 pour cent, tout à fait anecdotique au regard des meurtres perpétrés par le patriarcat.

En moi ce fut comme une tornade, un sentiment de colère mêlé de peine immense, de vide de gâchis.Saskia était choquée elle répétait: »pourquoi Maman? »

Oui….Pourquoi?

Je me suis dit « comment je peux faire vivre cette émotion, lui rendre hommage? ». Nous (Nathalie et moi) avions discuté quelques semaines auparavant, assises sur le tapis de danse, dans son studio aux mille glaces. Elle fumait une clope parlait vite de son projet de sa passion du spectacle qui était prévu, très intime très lié à son histoire familiale elle était passionnée et passionnante j’étais charmée. je lui avais montré ma proposition(sous forme d’un gros dossier de croquis), elle avait trouvé cela bien et je m’étais mise au travail joyeuse. Ce n’était pas une amie c’était plutôt une sœur, une femme artiste qui se bat pour exister, mais je ne savais pas quel calvaire elle vivait au quotidien. Chacune avec sa peine bien rentrée, il ne faut montrer que le sourire aux dents bien brillantes et pointues de louve, cacher l’agneau entravé : pudeur.

Alors c’est arrivé « tout seul « comme souvent chez moi. Je réfléchis beaucoup en amont mais sans objet sous forme de prises de notes informelles ou de croquis numériques, de regards furtifs sur la beauté du monde, de larmes salées qui coulent et ruissellent tendrement. Tout peut faire sens, il suffit de faire les liens

J’avais ces centaines de lingettes que je conservais depuis des mois alors j’ai commencé à les assembler en pensant à elle et son sacrifice total, sa disparition insupportable. En fait je la connaissais peu mais elle devenait « Tout »pour moi , elle était à présent dans son absence le symbole de toutes nos frustrations. Je reliais ces petits bouts de lingettes grisâtres ensembles, cela n’avait pas encore de sens, j’en avais juste besoin. Relier, assembler pour comprendre pour donner une signification aux éléments éparpillés à la désintégration symbolique du Monde.

C’est cela oui: Donner du sens à sa mort absurde. Du sens à ma vie minuscule et invisible. J’avais des problèmes aussi dans ma vie personnelle mais pas à ce point, pas au point de craindre pour ma vie, j’étais juste ignorée traitée comme une femme psychologiquement fragile et instable. Comme de nombreuses femmes je me sentais niée. Une année est passée et j’ai continué à coudre tous les soirs ainsi le projet est apparu comme par magie, je ne vais pas en reparler ici parce que j’ai consacré plusieurs posts à expliquer la substance de cette démarche. Vous pouvez y avoir accès ici :

Le grand dais mesurant 8,80 m doublé de toile de métis(lin et coton).

https://lapeintresseka.com/2019/01/19/over-the-rainbow/

et là:

https://lapeintresseka.com/2020/02/19/des-choses-minuscules/

Happy End? J’ai enfin quitté l’homme avec qui je vivais, je suis restée seule dans la maison avec ma grande adolescente de fille. Cela a été très difficile de vivre avec elle la confrontation de femme à femme en devenir. J’étais, je suis le rempart, sa seule référence. Celle qui doit tenir coute que coute contre les vagues qu’elle balance obstinément sur moi. Pas question de me noyer…

Je me suis construite une vie monacale, répétitive qui pourrait paraitre ennuyeuse de l’extérieur mais il n’en est rien, je n’ai jamais été aussi concentrée sur mes buts mes aspirations et cette exposition qui arrive comme un cadeau du ciel…. Je ne cherche pas vraiment à me remettre en couple. Je ne sacrifierai plus rien pour un autre être quel qu’il soit, seule ma fille peut me faire abandonner mon ouvrage quand elle a besoin de moi de mes bras, de mon écoute. Je suis entièrement là pour elle j’ai choisi d’être mère et je l’assumerai jusqu’au bout.

Je travaille chaque jour, je dois peaufiner mes broderies, coudre la doublure affreusement lourde du grand dais de peine, peindre le visage de chacune des poupées qui formeront l’essaim aérien dans un coin de mon installation.Et commencer à envisager « l’artist-stament », le texte de l’exposition les photos pour le flyer toutes ces choses que je déteste gérer (seule la tâche de création m’intéresse ), je ne suis douée que pour ça alors me mettre en lumière… Mais bon je vais y arriver je dois le faire c’est tout. Je n’ai plus d’état d’âme.

Je le vois  » in situ » ce travail de plusieurs années cette réalisation méthodique, modeste, têtue comme je le suis. Dans la belle salle galerie des Simone, la mise en scène je l’ai déjà dans la tête et ça me fait sourire toute seule.

Maintenant j’espère que le public se laissera embarquer dans mon univers, je crois qu’on peut y trouver plusieurs choses à ressentir,enfin… J’espère. Il y a un moment ou il faut lâcher prise, montrer c’est perdre la maitrise.

Louise B me regarde et me sourit. Ok ça va le faire!

Je suis entrain de réaliser mon rêve d’enfant. Plus que jamais. Quand j’étais plus jeune et que j’ai eu l’occasion d’exposer à Paris, Bruxelles ou Toulouse dans des lieux underground et branchés je ne réalisais pas vraiment ce que je faisais là, je n’étais pas complétement satisfaite de ce que je montrais parce que je ne travaillais pas suffisamment. C’était plus une affaire de brio que de démarche réfléchie, de geste intimement vécu jusqu’au tréfonds de mon ventre. Maintenant il est question d’un travail qui abime mes doigts, mes yeux et mon dos.

Un acte libérateur et juste.

Comme quand Nathalie tournoyait en arabesque folle pour montre à ses élèves le mouvement parfait.

Des années de travail pour le tenir ce mouvement là et encore ….

Je suis une femme d’abord oui. Je suis une artiste une peintresse qui se bat pour montrer qu’elle existe hors des sentiers communs. Âgée oui , je suis une fleur tardive: « a late bloomer » comme disent les anglo-saxons. Mais toujours vivante.

Je remercie l’équipe de Simone et les Mauhargats pour leur confiance, je ferai en sorte de donner le meilleur pour que nous puissions partager un moment délicat d’art de poésie.

Ourses Papilons

OURSES PAPILLONS

Nous de la flamme

Ou de sa nuit

Avec un arc si fin sous le front

Nous ouvrons le sol face au vide

Nous déclarons le cœur gonflé de paille chaude

Nous regardons la blancheur accompagner notre taille

Quelques bouts de soie suffisent

Une fourrure fermée

Sans craindre l’ours ou l’ivresse du papillon

Car nos yeux notre bouche traversent poupées et déjà femmes

Ensemble mais sans dépasser l’ombre de la jumelle

Nous n’avons qu’une fleur différente

Plus légères que la présence

Anonymes pour mieux rester libres

Régis Roux ; le 27 octobre 2018.

Je laisse à Régis que je remercie les mots pour décrire ma création actuelle, faite de fils de gaze, de tulle de coton ancien de petits bouts de tissus conservés avec amour, de dentelle héritées de ma grand tante. La seule ou presque dans ma famille à croire en moi et à alimenter de menus présents ma création. J’espère que là ou elle est aujourd’hui elle sourit quand elle me voit fouiller dans ma cassette à vieilles dentelles .Dentelles qui viennent de sa mère, dentelles qu’elle a avec patience décousues de vieux linges de nuit, caracos et autres culottes fendues. C’est très âpre en ce moment et je me raccroche à mes aiguilles comme à un gouvernail.

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Les quatre éléments

Depuis plusieurs années je couds je brode avec les vagues souvenirs de conseils donnés par ma grand mère lors des trop longues vacances d’été en solitaire. J’affectionne particulièrement la confection de poupées, elles ont quelque chose de fascinant.Et si on veut bien faire parler tonton Jung il y a une raison originelle à cette passion. J’en ai déjà parlé ici, lorsque j’étais âgée de 4 ans je possédais un petit poupon que j’adorais qui représentait un esquimau. Il était fait en tissu et vraie fourrure avec, si mes souvenirs ne me trahissent pas trop une tête  et les mains en porcelaine. Un jour de rage sourde je l’ai démembré, sous la table entre les grandes jambes des adultes certainement attablés pour un de ces longs repas dominicaux tellement ennuyeux pour moi, unique enfant de la famille. Je n’ai plus de détail de cet événement. Mais n’empêche, cinquante ans ont passé et je tourne encore autour  des poupées, désormais je ne les détruis plus bien au contraire je les conçois, je les couds, les assemble je leur donne vie. La boucle est bouclée et ça me va très bien.

J’ai commencé à me faire la main avec des petits animaux et puis ensuite j’ai voulu créer mes propres poupées plus proches des fétiches que des doudous pour bambins… La poupée déborde de significations: ludiques, rituelles, esthétiques. Même désacralisées elles sont les intermédiaires entre deux mondes: le vrai et le simulacre, l’animé et l’inanimé, le jouet et le fétiche, le sacré et le profane…

Toutes ces raisons et d’autres certainement obscurément liées à des phénomènes inconscients font que je me sens faite pour créer ces objets. Je deviens démiurge. La poupée parle également de la place de la petite fille future femme, d’ailleurs ce qui est drôle c’est que je n’ai pas joué « aux poupées ». Je les abandonnais à moitié dénudées sur le carrelage quand je n’avais coupé la moitié de leur chevelure pour des expériences capillaires punk avant la lettre. Je me souviens de mes tantes, de ma grand mère prenant une voix faussement attristée totalement ridicule pour me dire que je n’étais pas une »bonne maman » que mes bébés allaient prendre froid traités ainsi, je me souviens les avoir regardées d’un œil torve qui voulait dire : »vous me prenez vraiment pour une imbécile non? » et je suis polie… Je n’étais pas une petite fille « facile » mais tellement calme…. Et sage, du coup personne ne se posait la question de savoir si j’allais bien, bref.

J’ai donc commencé il y a trois ans une série de quatre poupées fétiches qui incarneraient les quatre éléments (j’ai fait des recherches dans ce sens sur la symbolique des éléments les signes dédiés tout ça).  J’ai confectionné les corps  dans une bonne toile de lin issue de vieux draps (j’en ai des kilos achetés il y a des années sur le marché aux puces à Toulouse ), à l’époque ça ne coûtait rien comme j’ai bien fait. Dans le corps rempli de ouate issu d’un vieil oreiller j’ai glissé un petit cœur d’argile des rognures d’ongles des cheveux m’appartenant (on est sorcière et on l’assume)! Ensuite je les ai tatouées sur les bras en inscrivant les signes magiques incarnant la terre l’air le feu et l’eau, puis j’ai confectionné des robes plus des sur-jupes et des ceintures dans différents tissus censés représenter les éléments invoqués: par exemple j’ai fait le choix d’une grosse bure marron pour la sous robe de Lurra (la terre en basque), celle ci porte des teintes sobres noir brun beige et elle a comme bijou un morceau de tige de fruit de camélia. Son vêtement est rigide et lourd pour symboliser les forces de la Terre.

J’ai laissé de côté ces quatre objets pendant deux ans prise par de nouveaux projets. Mais je reviens toujours sur mes pas et comme cet été j’ai pris une claque lorsque j’ai terminé mes séries picturales sans pouvoir imaginer et réaliser les encadrements qui me permettraient de les exposer au public…(allo Papa Freud vous pouvez passer mardi soir? )… J’ai été prise d’une tristesse et d’un accablement sans fond. La seule chose qui pouvait me redonner de l’énergie c’était de reprendre d’autres projets laissés en suspens. C’est une bonne chose pour moi d’avoir toujours des trucs à finir sous la main. Je quitte la peinture pour le moment pour un mois un an pour toujours je n’en sais rien. Je ne cherche pas à perdre du temps à creuser mes cendres. Je construis j’élabore je crée… Les poupées que je fabrique ont certainement une vertu curative et apaisante. En tout cas elles m’ont redonné le sourire en les voyant enfin terminées, belles pleines de mon pouvoir féminin. Elles incarnent ma force productive.

Depuis j’ai enchaîné sur la finition de calebasses modelées en papier mâché( une trentaine), elles aussi ont une fonction symbolique j’y reviendrai. Je me pose beaucoup de question pour la suite. J’ai envie de couler mes jours sur le bassin, modeler la terre faire cuire mes pots, mes lubies mes douces chimères, me promener avec le chien (que je n’ai pas encore) les pieds nus dans le sable noir et parfumé à l’iode d’Andernos ou Gujean Mestras.

Voir les saisons passer.

Rien d’autre.