L’odeur du tilleul

Un papillon est venu mourir devant ma porte hier, cela m’a rendue un peu triste j’ai vu ses ailes flétrir et des insectes se nourrir dans son abdomen… J’ai pris mon balai et je l’ai mis dans le compost. C’est l’été, Saskia est partie avec Peppa et son cousin Herran chez leur grand mère dans les landes. Je me retrouve donc seule avec les chattes, seule avec le silence qui n’est pas déplaisant ni lourd. Un silence que j’habite avec joie.

Je suis en lune de miel avec moi-même. Je me découvre et m’apprécie je n’ai besoin que d’une chose, mon travail, c’est exaltant.

Au réveil un peu fourbue parce que je dois dormir avec deux chatons et leur mère, je ne me souviens pas de mes rêves. Juste de quelques images comme une réminiscence vague, comme le parfum des tilleuls en fleurs. Comme s’il ne restait que cette fragrance délicieuse et entêtante mais rien de l’arbre de sa forme de sa présence: tronc et feuilles. Comme si la consistance du rêve m’échappait.

C’est l’été… Ceux qui ont lu mon blog depuis longtemps savent combien cette saison est difficile pour moi. C’est la période de l’éclat maximum de la lumière et par conséquent de la présence menaçante et compacte de l’ombre qui dévore les esprits sensibles tels que le mien. Alors j’essaie de contenir mes angoisses et j’étouffe mes sanglots avec soin. Ce n’est pas si difficile finalement. D’autant que cette année l’été n’est pas vain, je ne suis pas en vacances. Mon temps est plein. Je prépare l’exposition qui sera effective le premier Septembre.Le vernissage lui se fera dans la première quinzaine la date n’est pas décidée.

L’océan me manque je ne peux pas dire le contraire mais je dois me contenter de ce que j’ai entre les mains.

J’arrive au stade ou le travail est difficile pour moi. Parce qu’en fait ce que j’aime le plus dans la vie c’est chercher expérimenter et imaginer. Sans avoir d’objectif trop contraignant ni concret. Je pense que je l’ai déjà dit mais vraiment j’ai un tempérament de chercheur celui qui travaille seul dans son « atelier laboratoire » loin du monde et de ses rumeurs, loin du regard des autres de ce que je peux représenter aux yeux du monde. Jouer mon rôle d’artiste ne m’apporte aucune jouissance. C’est mon travail qui doit me représenter pas mon enveloppe charnelle. Hélas les lois sociales ne sont pas faites ainsi. Et c’est à moi de me plier de jouer le jeu. Et puis je ne vais pas me mentir: j’arrive à un stade ou j’ai besoin d’un minimum de reconnaissance, au moins de la part de mes pairs.

Je suis au pied du mur et il faudra bien que j’honore ma part du contrat avec les Simones, avec Katia surtout qui m’a appelée il y a quelques jours et qui va me venir en aide pour finaliser mon projet d’installation. Avec Françoise qui m’a également appelée de Bretagne pour poser les dates accrochages, vernissage décrochage.

On pose le cadre c’est bien.

C’est si peu en fait cette exposition…. C’est juste quelque chose qui me tient à cœur mais qui n’a d’importance que pour moi. Je réfléchis constamment à la place de l’artiste dans le monde. Nous sommes sur la crête des vagues houleuses à en observer les nuances retranscrire les transparences, nous sommes des observateurs. Mais finalement nous ne changeons rien …

J’aurais aimé faire quelque chose d’utile, le monde va si mal et j’ai peur pas pour moi j’ai bien vécu mais pour ma fille est ses acolytes … Je n’arrive pas à « oublier » je n’arrive pas à me dire:  » tu exposes enfin ça fait 18 ans que cela n’est pas arrivé, c’est ce que tu attendais non, c’est génial ?!! »…. Oui oui c’est ce que j’attendais, et c’est bien non c’est plus que bien , c’est le but ultime de mon travail journalier solitaire. Mais je sais aussi que c’est vain. Il faut garder les pieds sur terre, le souci de la réalité.

Juste un grain dans l’univers Carolina , n’oublie jamais.

VDf … J’ai cherché un autre nom et rien ne vient alors j’abandonne et je garde VDf, ce sont des initiales avec des majuscules et une minuscule, c’est moche neutre et signifiant. Cela me convient. Et puis il y a le nom de l’artiste posée sur l’affiche lequel choisir : Carolina Diomandé, Carolina Diomandé la peintresse Ka ou Peintresse Ka tout court?

Si je choisis Peintresse Ka je désobéis à l’injonction paternelle du Grand Rêve ….

Et merde, je n’arrive pas me décider. J’ai découvert tardivement que je n’avais pas autant de caractère que je croyais car je m’étais érigé une armure flamboyante pour me protéger. Je suis une personne qui a beaucoup de mal à se décider, à s’affirmer à imposer ses vues. Dire non est une torture mais j’ai décidé que dans la prochaine décennie si Dieu me prête vie ce sera l’objectif premier. Il est important de se respecter soi même afin de respecter les autres c’est ce que je désire transmettre à ma fille.

Mais je m’éloigne! Ce que j’ai fait pour l’exposition : L’inventaire global de tout ce que je veux montrer. Ensuite j’ai créé une quarantaine de petits formats en acrylique et linogravure, c’est terminé verni et marouflé sur du carton solide d’encadrement. Ces tableautins seront exposée en bas (côté boutique) et mis à la vente mais ce ne sont pas des objets qui n’ont aucun lien avec VDf, ils s’intègrent totalement dans l’œuvre montrée en haut par les teintes et dans le thème du féminin. Je ne sais pas qui voudra acheter une linogravure représentant un clitoris, mais bon je n’ai pas envie de m’embarrasser d’une pudeur ridicule. Même ma mère connait cette forme ludique alors ça devrait passer … Il me reste à créer un catalogue d’exposition pour les tentures du haut (pas la grande elle n’est pas à vendre).

J’ai trouvé une idée pour accrocher les tentures j’ai toujours aimé les cintres en fer ces formes simplistes et efficaces renvoient naturellement au monde domestique quand le linge est propre qu’on l’a étendu pour qu’il sèche et qu’on l’a repassé (moi je passe cette étape chronophage), on termine par le pliage et le rangement dans une armoire en pile ou bien sur cintre.

Les tentures seront donc dans la mesure du possible montrées avec ce dispositif simpliste et humble soit contre les parois ou bien légèrement flottantes à quelques distances du mur pour obtenir un effet aérien.

Pour la tenture je donne ma langue au chat et à Katia ,on va essayer de trouver un dispositif ensembles elle m’a promis qu’on se donnerait les moyens de mettre en oeuvre une idée spectaculaire qui surprenne le spectateur je suis d’accord je lui fais confiance. Elle est douée et son imagination est sans limite.

Il me reste à envisager l’accrochage des 63 poupées j’ai quelques idées que je compte mettre en œuvre cette semaine puisque je suis toute seule. Je pense à des formes ovales en fil de fer solide sur lesquelles seraient pendues les poupées par du gros fil de pêche, tiens merde faut que je trouve du fil de pêche….

Il faudra trouver un espace pour les 5 tableaux format raisin qui sont prêts et brillant de vernis et les calebasses que j’ai peintes en gris coloré (j’ai trouvé un mélange qui me plait énormément: titane buff clair, ocre rouge et bleu indigo) .J’ai l’impression que je n’en ai pas fini avec cette demi teinte subtile et modeste qui met en valeur tout ce qui l’approche. Le gris est présent pour faire le lien avec la « non couleur » des lingettes qui furent ma première source d’inspiration et de désir. Michel Pastoureau dit que le gris est la couleur de l’ombre.

Les femmes ne sont elles pas souvent dans l’ombre n’ont elles pas été invisibilisées jusqu’ici ? Alors oui le gris me sied comme le symbole de nos conditions. Par mon regard j’extirpe le côté neutre et ennuyeux de cette teinte en la rendant chaleureuse riche et multiple.

Le pire pour la fin?! Il me reste à finaliser le texte de présentation et je dois également faire des photos dignes de ce nom j’espère que mon appareil photo fonctionne encore au dernières nouvelles il se déchargeait très vite. je me donne jusqu’à la fin de cette semaine.

J’espère que dans mes lecteurs certain(e)s viendront voir l’exposition « in situ » … Je vous invite chaleureusement.

I’m a late bloomer…

L’effort paie c’est ce qu’on dit aux enfants mais les enfants préfèrent jouer et ils ne comprennent pas. J’ai longtemps été une enfant je dirais même que j’ai gardé mon âme d’enfant et le sens de l’effort, du travail je l’ai acquis tardivement. Tout semblait facile.

Passé: J’ai brulé ma vie pour vivre des sensations éphémères et dangereuses j’en avais besoin. Un jour je me suis fracassée en plein vol me retrouvant à terre alors là oui d’un coup j’ai compris. Aujourd’hui tout ça est loin et j’ai vécu plus longtemps après le fracas qu’avant ce qui est en soi une vraie performance. Je dirai que mon art c’est avant tout de rester en vie cela prend beaucoup de temps et ce n’est pas spectaculaire.

Présent: nous sommes en Juin 2021, et le temps est très chaud, au fond de l’horizon je vois de gros nuages en forme de champignons nucléaires, volutes de chantilly bleutées tirant sur le gris. J’aime tellement regarder le ciel il vous remet immédiatement à votre place de grain dans l’univers.Radical. Vous avez essayé de peindre des nuages?

Rappel: il y a quelques mois pour le jour de mon anniversaire Katia m’a appelée et m’a annoncé que j’étais choisie pour faire une exposition chez les Simones… Impossible d’imaginer un plus beau cadeau que celui là, Katia, son sourire malicieux et sa voix chaleureuse. Nous avons la même vision du monde un peu douloureuse et remplie d’espoir. C’est elle qui est venue me chercher, me pousser dans mes retranchements, qui m’a persuadée que je pouvais le faire que c’était le moment… Allez fonce!

J’ai commencé à regarder mon projet VDf de manière globale et j’ai listé ce que je devais finir sur quoi je devais réfléchir. Depuis j’y travaille tous les soirs je ne vois pas trop le paysage, je fonce tête baissée afin d’être au maximum de mes capacités pour Septembre. Car cette exposition commencera début septembre.

Mais quel bonheur.

Pas d’exposition depuis Décembre 2003 … J ‘ai créé bien sûr, je ne suis pas restée les bras croisés bien au contraire mais, je n’ai plus eu l’occasion de montrer mon travail dans de bonnes conditions. J’ai fait des décors pour des spectacles de danse, j’ai créé un mandala pour une performance de paix et de concorde à Saint Macaire justement, avec une professeur de danse indienne Karine une femme adorable. J’ai fait ce que j’ai pu dans les limites de mes possibilités. Jamais assez à mon gout avec toujours cette sensation de frustration permanente. Comme si le temps jouait contre moi. Le temps de la féminité avec ses journées à rallonges, toutes les tâches à accomplir pour les autres, le sacrifice permanent de soi, de son être profond. Sans jamais la moindre gratification pour ce sacrifice consenti.Comme si tout ce que nous faisions pour les autres était un dû.

Genèse du projet VDf : c’est arrivé comme un coup de tonnerre, j’avais pris la sainte habitude de travailler tous les soirs chaque jour de la semaine du mois de l’année. ceci depuis Janvier 2013 l’année de mes cinquante ans. J’étais épuisée mais je ne lâchais rien. C’est alors que Saskia est rentrée du collège et me l’a annoncé: Nathalie sa professeur de danse avait été victime d’un féminicide brutal. Nathalie était morte parce qu’elle voulait vivre, partir. Ainsi non seulement les femmes se doivent de prendre tout en charge de se sacrifier, mais elles n’ont pas le droit de décider de se libérer du joug. Elles ne s’appartiennent pas en fait, elles sont objets et non sujets. Un homme peut décider qu’elles ne vivront pas sans lui, hors de lui.

Est ce qu’une femme peut commettre ça?? Oui il y en a forcément mais je crois que c’est au alentour de 3 pour cent, tout à fait anecdotique au regard des meurtres perpétrés par le patriarcat.

En moi ce fut comme une tornade, un sentiment de colère mêlé de peine immense, de vide de gâchis.Saskia était choquée elle répétait: »pourquoi Maman? »

Oui….Pourquoi?

Je me suis dit « comment je peux faire vivre cette émotion, lui rendre hommage? ». Nous (Nathalie et moi) avions discuté quelques semaines auparavant, assises sur le tapis de danse, dans son studio aux mille glaces. Elle fumait une clope parlait vite de son projet de sa passion du spectacle qui était prévu, très intime très lié à son histoire familiale elle était passionnée et passionnante j’étais charmée. je lui avais montré ma proposition(sous forme d’un gros dossier de croquis), elle avait trouvé cela bien et je m’étais mise au travail joyeuse. Ce n’était pas une amie c’était plutôt une sœur, une femme artiste qui se bat pour exister, mais je ne savais pas quel calvaire elle vivait au quotidien. Chacune avec sa peine bien rentrée, il ne faut montrer que le sourire aux dents bien brillantes et pointues de louve, cacher l’agneau entravé : pudeur.

Alors c’est arrivé « tout seul « comme souvent chez moi. Je réfléchis beaucoup en amont mais sans objet sous forme de prises de notes informelles ou de croquis numériques, de regards furtifs sur la beauté du monde, de larmes salées qui coulent et ruissellent tendrement. Tout peut faire sens, il suffit de faire les liens

J’avais ces centaines de lingettes que je conservais depuis des mois alors j’ai commencé à les assembler en pensant à elle et son sacrifice total, sa disparition insupportable. En fait je la connaissais peu mais elle devenait « Tout »pour moi , elle était à présent dans son absence le symbole de toutes nos frustrations. Je reliais ces petits bouts de lingettes grisâtres ensembles, cela n’avait pas encore de sens, j’en avais juste besoin. Relier, assembler pour comprendre pour donner une signification aux éléments éparpillés à la désintégration symbolique du Monde.

C’est cela oui: Donner du sens à sa mort absurde. Du sens à ma vie minuscule et invisible. J’avais des problèmes aussi dans ma vie personnelle mais pas à ce point, pas au point de craindre pour ma vie, j’étais juste ignorée traitée comme une femme psychologiquement fragile et instable. Comme de nombreuses femmes je me sentais niée. Une année est passée et j’ai continué à coudre tous les soirs ainsi le projet est apparu comme par magie, je ne vais pas en reparler ici parce que j’ai consacré plusieurs posts à expliquer la substance de cette démarche. Vous pouvez y avoir accès ici :

Le grand dais mesurant 8,80 m doublé de toile de métis(lin et coton).

https://lapeintresseka.com/2019/01/19/over-the-rainbow/

et là:

https://lapeintresseka.com/2020/02/19/des-choses-minuscules/

Happy End? J’ai enfin quitté l’homme avec qui je vivais, je suis restée seule dans la maison avec ma grande adolescente de fille. Cela a été très difficile de vivre avec elle la confrontation de femme à femme en devenir. J’étais, je suis le rempart, sa seule référence. Celle qui doit tenir coute que coute contre les vagues qu’elle balance obstinément sur moi. Pas question de me noyer…

Je me suis construite une vie monacale, répétitive qui pourrait paraitre ennuyeuse de l’extérieur mais il n’en est rien, je n’ai jamais été aussi concentrée sur mes buts mes aspirations et cette exposition qui arrive comme un cadeau du ciel…. Je ne cherche pas vraiment à me remettre en couple. Je ne sacrifierai plus rien pour un autre être quel qu’il soit, seule ma fille peut me faire abandonner mon ouvrage quand elle a besoin de moi de mes bras, de mon écoute. Je suis entièrement là pour elle j’ai choisi d’être mère et je l’assumerai jusqu’au bout.

Je travaille chaque jour, je dois peaufiner mes broderies, coudre la doublure affreusement lourde du grand dais de peine, peindre le visage de chacune des poupées qui formeront l’essaim aérien dans un coin de mon installation.Et commencer à envisager « l’artist-stament », le texte de l’exposition les photos pour le flyer toutes ces choses que je déteste gérer (seule la tâche de création m’intéresse ), je ne suis douée que pour ça alors me mettre en lumière… Mais bon je vais y arriver je dois le faire c’est tout. Je n’ai plus d’état d’âme.

Je le vois  » in situ » ce travail de plusieurs années cette réalisation méthodique, modeste, têtue comme je le suis. Dans la belle salle galerie des Simone, la mise en scène je l’ai déjà dans la tête et ça me fait sourire toute seule.

Maintenant j’espère que le public se laissera embarquer dans mon univers, je crois qu’on peut y trouver plusieurs choses à ressentir,enfin… J’espère. Il y a un moment ou il faut lâcher prise, montrer c’est perdre la maitrise.

Louise B me regarde et me sourit. Ok ça va le faire!

Je suis entrain de réaliser mon rêve d’enfant. Plus que jamais. Quand j’étais plus jeune et que j’ai eu l’occasion d’exposer à Paris, Bruxelles ou Toulouse dans des lieux underground et branchés je ne réalisais pas vraiment ce que je faisais là, je n’étais pas complétement satisfaite de ce que je montrais parce que je ne travaillais pas suffisamment. C’était plus une affaire de brio que de démarche réfléchie, de geste intimement vécu jusqu’au tréfonds de mon ventre. Maintenant il est question d’un travail qui abime mes doigts, mes yeux et mon dos.

Un acte libérateur et juste.

Comme quand Nathalie tournoyait en arabesque folle pour montre à ses élèves le mouvement parfait.

Des années de travail pour le tenir ce mouvement là et encore ….

Je suis une femme d’abord oui. Je suis une artiste une peintresse qui se bat pour montrer qu’elle existe hors des sentiers communs. Âgée oui , je suis une fleur tardive: « a late bloomer » comme disent les anglo-saxons. Mais toujours vivante.

Je remercie l’équipe de Simone et les Mauhargats pour leur confiance, je ferai en sorte de donner le meilleur pour que nous puissions partager un moment délicat d’art de poésie.

Et alors? Manger des nuages…

J’ai enfin terminé la broderie au point bourdon de ma dernière tenture qui est en forme de croix allongée. Pour les dernières œuvres je suis sortie du cadre rectangulaire. J’ai voulu évoquer des croix car le destin féminin c’est souvent un parcours douloureux rarement couronné de gloire ni de reconnaissance. Aujourd’hui les mentalités changent doucement et l’on tire de l’oubli des peintresses, des écrivaines des ingénieures. Toutes effacées, oubliées , parfois spoliées (dans le domaine scientifique notamment) Camille I love you.

Je commence donc la dernière phase de cette série: doubler le dais fait de lingettes celui qui mesure plus de 8 mètres et qui sera la pièce maitresse de l’exposition. J’assemble 8 mètres de drap lourd (métis) au dos des lingettes. Impossible de coudre cette doublure en une fois, alors j’enroule le dais je maintiens la longueur avec deux ficelles et j’ajoute mètre par mètre de tissu. Ce n’est pas difficile c’est juste un travail de patience et de précision. Mon annulaire de la main droite semble creusé au niveau de la pulpe du bout du doigt cela forme un petit cratère dur et sec, c’est la trace de l’aiguille que je dois enfoncer dans les multiples couches de matière. L’art laisse son empreinte dans ma chair!

Finalement dans le monde obscur ou nous sommes plongé(e)s cette tâche de longue haleine est parfaitement adaptée. Je ne me demande pas ce que je vais faire le soir j’attrape mon gros tas de tissu je le pose sur mes genoux et j’assemble en écoutant un podcast d’Arte, ou une série sur Netflix.

Une fois que j’aurais terminé ce travail il faudra que je mette tout ça en forme pour pouvoir l’exposer. Parce que pour une fois je suis vraiment convaincue par ce que j’ai fait. Je veux le montrer j’ai les mots pour le décrire, tout fait sens. J’ai passé mon été à faire des croquis de scénographie parce que pour une fois et alors que je n’ai pas encore fini, j’ai déjà une proposition de lieu d’exposition sérieuse. Et même si cela ne fait pas là je suis prête à aller taper à différentes portes pour trouver un endroit, je me sens solide pour défendre ce projet. Ce qui m’empêche ce sont plutôt les conditions actuelles de vie, l’incertitude qui règne partout, cela a quelque chose de terrifiant de ne pas pouvoir se projeter.

J’ai déjà commencé une nouvelle série dont j’ai parlé dans le dernier post « Strange fruit », c’est encore très flou mais petit à petit en relisant des textes, en faisant des croquis j’avance. En fait ce travail je le vois déjà terminé ce qui est assez étrange cela ne m’est jamais arrivé, mais je sens que je vais devoir mettre beaucoup de moi même et ce n’est pas exactement ce que je projetais de faire après VDf, ce que je visualise: de grandes toiles de tissu qui pendent avec d’immenses portraits peints dessus à grands traits avec beaucoup de couleur une envie de Gauguin, du douanier Rousseau de Rembrandt, des poupées de grande taille qui pendent également « les fruits étranges » , une installation numérique avec les textes de mon ami Régis Roux et des flots d’images celles que j’aurais produit et d’autres qui sont dans le domaine public. J’avoue, j’en ai assez de ne parler que de problèmes qui me brulent parce que je n’ai pas de peau, j’en ai marre d’incarner la cloche impériale résistante. Je rêverais de peindre une desserte rouge, un bouquet de tournesols, quelques pins désolés un soir de Septembre avec une belle palette de mauve de jaune de chrome de rouge sombre, une palette qui ne vaut que pour elle même: la couleur en majesté.

Cela voudrait dire que j’ai trouvé le repos mais je ne suis pas sure que cela soit mon destin, peut être. Je ne comprends pas notre monde, ni les complotistes que je trouve ridicules voir dangereux ni ceux qui suivent aveuglément les restrictions gouvernementales sans se poser de questions sur la perte de nos liberté, sur le sens de cette vie qui n’en a plus enfin pour moi. Je ne comprends ni n’accepte pleins de choses que je trouve violentes et injustes en fait, mon petit confort mon bonheur individuel ne peut pas me suffire.

Ou sommes nous là maintenant?

Mais bon je dérive, ce blog parle de couleurs, de lumière, de travail acharné, d’inspirations fugaces et trompeuses. Ce blog pose des questions d’ordre plastique. Toutefois l’artiste(moi en l’occurrence) vit dans un monde donné il n’est pas hors sol. Et je vois bien que de nombreuses formes d’art sont entrain de s’étioler jusqu’à disparaitre c’est épouvantable. Je suis solidaire des artistes qui ne peuvent plus travailler. Les arts vivants sont les plus touchés mai pas que… Je connais des artistes peintres qui restent secs en ce moment, et je les comprends parce que je fournis un effort monumental pour continuer c’est ma santé mentale qui dépend de ma production alors je « force » l’inspiration je me fais violence, pas envie? « ta gueule tu continues! »…On a que cette vie et j’ai passé le plus clair de la mienne à me battre pour survivre alors j’ai pas le temps pour la dépression profonde. Covid ou pas, confinement ou pas, solitude absolue ou pas, j’avance.

Bien sur je me sens triste et déprimée, pas la peine de se mentir, mais je ne suis pas la seule je crois !

J’ai envie d’un grand repas avec les ami(e)s la famille, une grande table couverte de victuailles variées du vin de l’herbe des gâteaux et du pain frais. J’ai envie d’une journée chaude qui s’étire lentement avec des rires d’enfants et des chaises longues parsemées dans l’herbe. Une fête pour rien, juste pour se retrouver.

Cher(e)s lectrices et lecteurs je vous souhaite une belle année nouvelle que l’énergie du vent nous emporte.

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La dernière tenture avec des vignettes décrivant le déroulement du processus de création. Automne 2020

 

Quelques croquis et travaux numériques autour du « corps noir », qui peut se déployer en » corps étranger » pour ouvrir la problématique. Ce qui n’est pas blanc, occidental est « autre ». Plusieurs axes de travail de ce corps consommé vendu annihilé: le corps nourricier, le corps érotisé, le corps envié et donc abimé et traité comme un déchet, le corps en majesté pour renaitre. Il y a de quoi faire …. L’étoile brillante de cette série: Sarah Baartman dite la Vénus Hottentote dont l’histoire à la fois fascinante et terrible me permettra de relier entres eux chaque parti pris. Voilà ou j’en suis, ce n’est que le début.

Strange fruit…

Mon dernier billet date de Février.  Depuis je n’ai rien écrit, j’écris peu ces derniers temps. Je ne sais pas si on peut parler d’un épisode thymique profond, je n’en ai pas l’impression. Pourtant mon rythme est lent je ne me sentais pas capable jusqu’à il y a quelques semaines d’innover de réellement créer du moins le côté « surgissant » de la créativité, la pulsion inconsciente qui vous conduit à inventer un monde l’extraire du néant.

Ce qui m’a touchée ces derniers mois ce ne sont pas des éléments de ma vie personnelle, en tout cas pas d’éléments  tangible. Il est par contre un état nouveau qui commence à naître en moi, un état de  tranquillité de puissance, d’indépendance que je n’ai tout simplement jamais connu. Je me situe en tant que personne aux contours affirmés, pas liée pas courbée pas accrochée à un autre être. Je n’ai pas envie non tout simplement pas besoin de reconstruire ma vie en couple. Je goûte les joies du célibat volontaire, être jugée comme une vieille ménopausée solitaire même pas peur!! Je sais ce que je ne veux plus et les hommes, ceux que j’ai pu côtoyer ne semblent pas m’offrir cette union libre égalitaire à laquelle j’aspire désormais. Les hommes de ma génération  ont été élevé aux mamelles du patriarcat (si je puis dire!)  ils ne s’en rendant même pas compte, c’est intériorisé c’est assourdissant. Ayant tant donné de moi même et plus encore jusqu’à sacrifier ma vocation, je ne peux tout simplement plus me plier  davantage.

C’est un élément qui mérite d’être approfondi parce qu’il y a un lien fort entre ce nouvel état mature et un approfondissement de mon art dans des détails qui ne m’intéressaient pas avant. Je me doute que ce que je fais ne sera jamais mis en lumière mais je sais que je dois continuer à peaufiner mes projets les rendre le plus intelligibles, maîtrisés.

Mais revenons à l’état de ce qui m’écorche vive : celui du monde, de la terre. En mars, mi-mars nous nous sommes retrouvé(e)s confiné(e)s. En France, en Europe …Partout dans le monde en fait. Comme une grande terreur qui s’est abattue sur les peuples, comme un voile de crêpe noir paralysant. En France, la terreur  a pris une tournure dictatoriale : impossible de sortir sans attestation, des rues vides des villes vides. Un gouvernement qui ment qui gesticule improbable et ridicule, dangereux. Mais tout cela vous savez, vous l’avez vécu comme moi… Peut être pas de la même façon. Pour moi la privation de liberté provoque des troubles importants beaucoup d’angoisse, je ne peux pas obéir de manière aveugle sans comprendre sans que cela soit absolument justifié : je ne peux pas. La bonne surprise c’est que j’ai pu vivre en harmonie avec ma fille jour après jour l’une et l’autre ensembles, dans notre île avec nos deux bêtes aimées. Ce n’était pas gagné d’avance aux vues de nos caractères explosifs, j’ai pu finir ma grossesse il me manquait presque deux mois …

Et puis il y a eu la mort de Georges Floyd, afro américain qui a perdu la vie en direct filmé par un smartphone, mort à plat ventre sous les genoux d’un policier insensible fort de son droit de sa supériorité d’homme blanc représentant la loi. Je déjeunais et j’ai stoppé cette vidéo quand je me suis rendue compte que je regardais quelqu’un en train de mourir. (Il n’y avait rien qui signalait l’agonie de cet homme), choquée  et foudroyée je me suis comportée comme un zombie toute la journée.

Tout est remonté, tout ce que j’oublie volontairement pour pouvoir vivre. Le début de ma vie, moi comme embryon dans ce ventre tendu. Moi comme scandale absolu, comme souillure. Ni noire ni blanche.

Alors quoi? Qui?

Enceinte à 17 ans… D’un NOIR. Annie Van de Walle. Ma mère.

Ma mère a fait fort et c’est dommage qu’elle ait mis toutes ces forces dans cette grossesse pour ne plus jamais assumer par la suite les conséquences de ses actes, de ses choix : moi en l’occurrence.

Mon père cet être idéalisé qui a supporté l’humiliation, le jugement parce qu’il aimait ma mère, parce qu’il m’aimait je lui voue un amour absolu et définitivement perdu. Je vous ai peut-être déjà conté cet épisode cuisant ?? Je ne sais plus j’ai eu trois blogs successifs et il y a donc peut être des redites…Voilà l’anecdote:

Ma mère va chercher mon père à Paris, ils arrivent ensembles en train à Saint just en Chaussée la ville proche du petit village de l’Oise ou vivent ma grand-mère et mes arrières grands parents.

C’est un moment fort et attendu, cette présentation est cruciale pour la suite. Tout l’imaginaire des deux parties est à l’œuvre: Un noir….Une famille blanche.

De ce que m’a rapportée ma mère, ils sont descendus du train. Mon père superbe comme toujours vêtu d’une chemise noire et d’une veste de costume en daim fauve. Ma mère beauté juvénile du nord grosses joues pâles fierté d’amoureuse transgressive.

Il s’est avancé au-devant de ma famille qui les attendait, il souriait et puis il n’a pas compris le groupe a continué passant devant lui sans répondre à son sourire  sans s’arrêter à sa hauteur. Ayant honte de montrer qu’ils côtoyaient un noir, que leur fille, petite fille avait commis le pire acte qu’elle pouvait imaginer : mélanger deux races par nature incompatibles, coucher avec un nègre. Ils n’ont pas pu le recevoir, l’accueillir dignement. Pour étayer mon propos et montrer que non je n’exagère pas  je me réfère à un petit documentaire trouvé sur l’INA datant de 1961 (deux ans avant ma naissance).Il faut les entendre ces braves gens des années soixante, les colonies s’écroulent mais le sentiment de supériorité de différence est là crue brutale assumée. C’est très difficile à entendre mais cela m’a aidée à comprendre cette réaction absurde presque comique au fond.

documentaire de l’ina :racisme en France 1961;

Mon père était très fier(d’origine noble il avait l’habitude d’être respecté) mais il a ravalé sa honte, il a continué à faire bonne figure a montré sa bonne éducation, il a même fini par être adopté par ma grand mère qui l’adorait ce jeune homme raffiné et très sérieux dans ses études.

Qui est le sauvage?

Cette mort-là (celle de Georges Floyd) balancée comme celle d’un animal, cette mort qui s’additionne à toutes autres m’a bouleversée.

L’objectivation du corps noir.

J’avais travaillé sur l’Afrique en 1994/95 pour surmonter la mort de mon Père, comprenant que jamais il ne me serrerait dans ses bras qu’il ne m’aiderait pas à faire le lien avec cette culture qui fait partie de moi et que j’ignorais totalement. Il est parti j’avais un an et quelques mois il est mort j’avais 31 ans et quelques mois, je l’ai toujours attendu en vain.

C’est une plaie béante en fait, impossible à suturer alors parler de cicatrice, de résilience face à cette abyme de souffrance est absolument inenvisageable. Je vis avec. C’est tout. Malgré tout.

J’ai quasiment terminé mon projet VDf, depuis plus de six mois je reprends chacune des créations textiles et je les peaufine j’ai également cousu une cinquantaine de poupées  pour mon installation. Il faut maintenant (je me suis donné les vacances d’été comme date butoir)  imaginer la scénographie de cette œuvre totale en la mettant par écrit et en travaillant l’espace,  le regard du spectateur la  mise en lumière les sons. Ensuite je devrai écrire le texte explicatif et effectuer les démarches de lieux pour exposer ce travail.Le pire reste à faire mais j’ai bien compris maintenant que lorsqu’on commence sa vie dans l’opprobre la honte et le déni et bien c’est tout simplement presque impossible de s’affirmer, de se donner une valeur de soutenir le regard des autres…La question est :  » vais je réussir à surmonter cet handicap….Un jour? »

Je peux donc commencer à remettre en marche la machine, et mon sujet est tombé du ciel comme un coup de foudre brutal. La série sur le Deuil ma première série ne peut pas suffire à comprendre ce que veut dire être noir pour moi, je n’ai aucune idée du »comment » mais je sais pourquoi maintenant. Je dois accumuler les images (je fais toujours un tableau secret sur pinterest pour nourrir mon imagination), ensuite et bien je vais écrire, lire des textes des livres sur tous les sujets qui concernent la question du corps noir. Je ferai des dessins, des croquis .Le plus difficile étant pour moi de sortir de l’illustration pour entrer dans le projet plastique, je ne suis pas très douée pour conceptualiser  je connais mes faiblesses. il faudra que j’en joue en tout cas que je fasse avec. Je suis trop vieille pour me changer totalement j’ai trop à dire trop à montrer pour me concentrer sur la forme, je creuserai avec mes ongles jusqu’à ma mort pour dénoncer l’ignominie et l’injustice je sais que cela représente mon chemin de vie.

e Aprés avoir dénoncé MA  condition de femme. J’insiste sur ce fait parce qu’on m’a posé la question: je pars de mon nombril pour aller vers l’universel, comme une pierre qu’on jette dans l’eau et qui fait des ronds à l’infini. Je ne prétends pas que mon ressenti représente celui DES femmes en général mais j’ai bien compris par les réactions de mes amies, leur réflexions que je touche juste. Et ce n’est pas fini ce projet ne sera jamais fini tant que le patriarcat nous étouffera nous cantonnera à un rôle ornemental secondaire et passif.

Je rêve d’un autre monde pour Saskia et ses sœurs. Il sera âpre au niveau environnemental alors s’il pouvait au moins être plus juste pour chacune d’entre nous.

I’m a dreamer.

Comme je dis à chaque fois je vais essayer de venir ici plus souvent. Cette période fut pour nous toutes et tous très particulière, me concernant cela m’a rendue muette….

Je vous souhaite de bons moments. Sachez apprécier chaque jour comme des morceaux délicieux d’infini.

A bientôt n’hésitez pas à laisser des commentaires à me contacter, j’ai l’impression de travailler dans le désert, mortelle solitude.

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Sadia Diomandé

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pèle mêle familial

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Genèse projet du deuil

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Boite remplie de mes tentures brodées avec amour…Il n’y a plus qu’à….Juillet 2020.

over the rainbow

Je suis très silencieuse, de plus en plus repliée sur moi même. Ces deux dernières années j’avais réussi à inverser le mouvement, aidée en cela par Mme A psychologue et hypnothérapeute. Ma phobie sociale s’était éloignée et je prenais part à différents projets en société avec mes congénères, ceci sans trop rechigner. Et puis chassez le naturel… A nouveau je redoute de sortir de chez moi , enfin c’est plus subtil que ça, je peux aller à Bordeaux par exemple sans aucun problème,là bas je ne vais rencontrer personne je suis seule dans la ville , je parle dans ma tête. J’aime regarder les gens j’ai une vraie bienveillance envers tous ces individus que je côtoie pendant quelques minutes dans le tram, au Mac Do ou que je croise de manière fluide rue Sainte Catherine des rencontres définitivement sans avenir, éthérées tout ce que j’aime.

Le reste du temps je suis chez moi, je travaille sur mes copies, je dessine, j’écris je brode. C’est de cela que je vais parler aujourd’hui. D’ailleurs je ne vois pas de quoi je pourrai parler d’autre… Ce blog est un morceau de moi, de mes questionnements, de mes recherches. Il dépasse forcément le cadre du texte sur l’esthétique mais je n’ai pas la prétention à me décrire comme modèle de l’artiste inconnue. Je témoigne juste de ce que je sais, de ce que je vois, de ce que je sens et je parle de ma pratique quotidienne depuis mes 50 ans.

J’ai cessé de peindre à la fin de l’été, ce n’est pas un drame j’avais besoin d’une respiration, d’un vide salutaire. On avance en creux, avec le manque il n’y a pas d’oubli possible, pas pour moi. D’ailleurs je viens de préparer douze cartons dits « cartons bois » parce-qu’ils sont solides et très rigides, j’ai marouflé dessus des feuilles de kraft peintes en blanc. Je prépare tout doucement un retour vers le pictural. Saskia m’a dit en voyant les cartons sécher sur le sol du salon : »ah Maman tu vas te remettre à peindre?? » l’œil allumé par le plaisir de voir sa mère reprendre une tâche rassurante et quotidienne.Finalement elle m’a toujours vu peindre, dessiner,les mains dans le papier mâché ou la terre…

Oui, je lui ai répondu oui. Mais bon ce n’est pas ce qui occupe mes soirées en ce moment. Je brode, assemble des lingettes les unes aux autres. Ma grande « tente tapis couverture » mesure plus de six mètres maintenant, j’ai beaucoup de difficulté à l’étaler de tout son long. Se pose la question de l’exposition et de la présentation d’un tel objet. Pour le moment c’est très flou, je l’imagine en début d’exposition avec un texte écrit tout petit à l’encre, parlant du processus de la lessive du début à la fin… Pour comprendre tout le temps matérialisé ainsi par cette longue » route »: ceci est ma peine. Ceci est ma charge quotidienne.Plusieurs possibilités s’offrent à moi. Poser le travail au sol comme le long tapis rouge de la charge mentale mais, je n’ai résolu le problème des saletés déposées dessus par des déambulations humaines lors de la visite de l’exposition. Peut être pourrais je demander aux personnes d’ôter leurs chaussures pour fouler mon linceul comme s’ils pénétraient dans mon intimité, ils seraient intimidés amusés, il faut savoir surprendre son public. Une autre idée me séduit, c’est accrocher la couverture au dessus du sol mais pas très haut ce qui visualiserait un processus de parcours obligé avant de voir mes toiles (celles des cinq séries de « pure peinture »). Les personnes, surtout les plus grandes seraient obligées d’avancer un peu penchées, dans une posture « dos courbé » inconfortable, alors elles ressentiraient physiquement ma douleur, mon confinement, notre ratatinement féminin perpétuel..

Ce sont des idées qui me trottent dans la tête quand je brode en silence. Car comme je l’ai déjà dit la broderie est une activité bénigne, insignifiante, purement féminine, on pourrait ajouter délicate voir gracieuse! Mais quel bonheur d’avoir les mains occupées pendant que la cervelle surchauffe. Je lis beaucoup en ce moment parce que je sens que vient le moment de mettre en mots sur le papier l’histoire de ma vie. Il y a matière et j’en ai un grand besoin. Mais comme d’habitude ce qui me manque c’est le temps, je ne peux pas l’étirer à l’infini et c’est vraiment un crève cœur pour moi, j’enrage.

Dans cette solitude volontaire je rêve… Chacun des points que je pique dans la lingette grisâtre témoigne de l’ acharnement que j’ai à ne pas me résoudre à la noyade silencieuse dans le ventre mou d’une vie féminine sans avenir, sans passé. Une vie passée à s’affairer sans laisser de trace, oui c’est exactement cela. Les fils de soie, de coton perlé m’ouvrent des mondes merveilleux. J’en ai beaucoup, énormément, c’est ma tendance boulimique et compulsive à vouloir posséder toutes les couleurs enchanteresses qui me séduisent. J’ai six nuances de rose chair et c’est juste suffisant, une dizaine de gris colorés, de l’ivoire, deux vert presque dorés comme les carapaces de certains scarabées, des monceaux de bleus de l’indigo, du bleu pervenche, de ce magnifique bleu de Prusse bien plus profond que le noir qui m’ennuie définitivement… C’est là que réside mon appétit, dans la couleur des fils qui relient mes rectangles aux gris infiniment subtils.

Je vais donc continuer, parfois j’ai des bouffées d’angoisse à me demander ce qui va advenir des ces morceaux de tissus brodés, de ces tableaux rangés dans une grosse boite peinte en bleu outremer, des poupées que j’accumule nues, sans visage. J’ai mal aux articulations des mains, aux cervicales c’est le prix à payer.

Peut être qu’à force de tisser obstinément ma toile je vais finir par trouver mon chemin…

Cette toile est en largeur brodée, rebrodée de manière obsessionnelle, elle est faite avec les lingettes de mon amie Christine Hiot qui participe au projet.
Parchemin tout en longueur fait avec des lingettes collectées par Corinne Robbe.

Je voudrai remercier les femmes qui me soutiennent et m’envoient des lingettes qu’elles utilisent ou collectent: Kloé Magali Dordain, Emilie Médici, Corinne Robbe et Christine Hiot.

Détail d’un des sacs que je brode et peint sur toile teinte, l’art modeste m’accompagne aussi avec ferveur, je pense que la beauté doit se trouver partout dans nos vies.